Bodrum

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Avant d’arriver à Bodrum, la grande cité touristique, sous les murs du château St Pierre*, une pause proche, à Paradise Bay :

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Un mauvais souvenir de Bodrum 

Bodrum, c’est l’antique ville d’Halicarnasse, lieu de naissance d’Hérodote en – 484, siège du tombeau de Mausole (- 350), une des 7 Merveilles du monde antique. Assiégée par Alexandre le Grand en – 334, elle est détruite dans la bataille.

* Le château a donné son nom à la ville, Paetrum, Pierre en latin, a été déformé en Bodrum par les Turcs.

Dans ses Voyages avec Hérodote, l’écrivain-voyageur polonais Ryszard Kapuscinski décrit la ville avec humour (c’est avant l’arrivée du tourisme de masse) :

De l’île de Cos, un petit bateau m’a emmené à Halicar­nasse, ville natale d’Hérodote. En pleine mer, le marin silencieux a échangé le pavillon grec du mât contre un pavillon turc. Tous deux étaient fripés, décolorés et effilochés.

La petite ville se trouvait au fond d’une baie turquoise, pleine de yachts encore immobilisés au printemps. Le policier à qui j’ai demandé le chemin pour me rendre à Halicarnasse m’a corrigé : à Bodrum, puisque tel est le nom turc de la ville aujourd’hui. Il était compréhensif et aimable. Je suis descendu dans un petit hôtel bon marché, en bord de mer. À la réception était assis un petit garçon souffrant d’une périostite, son visage était tellement enflé que j’ai cru que sa joue allait éclater en lambeaux. Prudent, j’ai préféré me tenir à distance. Dans ma petite chambre misérable à l’étage, rien ne fermait, ni la porte, ni la fenêtre, ni l’armoire, je me suis donc senti aussitôt chez moi, dans un environnement familier. Au petit déjeuner, on m’a servi un délicieux café turc à la cardamome, une pita, un morceau de fromage de chèvre, un oignon et des olives.

J’ai remonté la rue principale de la petite ville, plantée de palmiers, de ficus et d’azalées. Au bord de la mer, des pêcheurs vendaient le produit de leur pêche matinale. Sur une longue table dégoulinante, ils saisissaient les poissons qui frétillaient sur le carreau, leur fracassaient la tête avec un poids, les vidaient en un tour de main et, d’un large geste, jetaient leurs tripes dans la baie où tournoyaient des bancs de poissons se régalant des restes de leurs congénères. À l’aube, les pêcheurs les attrapaient dans leurs filets et les jetaient sur la table gluante du sacrifice. Ainsi, la nature, tel un serpent se mordant la queue, se nourrissait elle-même tout en nourrissant les hommes.

À mi-chemin, sur un promontoire, se dresse le château Saint-Pierre construit à l’époque des croisés. Il abrite le musée de l’archéologie sous-marine. On peut y contempler diverses trouvailles que les plongeurs ont remontées de la mer Egée. Une grande collection d’amphores attire le regard. Les amphores sont connues depuis cinq mille ans. D’une grâce raffinée, sveltes, avec des cous de cygne, elles associent l’élégance de la forme à la résistance du matériau : pierre et argile cuite. Servant à transporter l’huile d’olive et le vin, le fromage et le miel, les céréales et les fruits, elles faisaient le tour du monde antique, des Colonnes d’Hercule à la Colchide en passant par les Indes. Le fond de la mer Egée est jonché de tessons d’amphores, mais on y trouve aussi des tas de vases intacts, peut-être encore pleins d’huile ou de miel, coincés sous des rochers sous-marins ou ensevelis dans le sable, semblables aux étranges créatures qui viennent s’y tapir.

Les découvertes des plongeurs ne représentent toutefois qu’une infime partie de ce monde englouti. Semblable sans doute au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, cet univers enfoui dans les profondeurs de la mer est riche et varié. Il regorge d’îles immergées avec leurs villes et leurs villages, des ports et des débarcadères, des temples et des sanctuaires, des autels et des statues. Des navires et des milliers de barques de pêcheurs, des voiliers de marchands et des bateaux de pirates. Au fond de la mer gisent aussi les galères des Phéniciens, et, à Salamine, l’immense flotte des Perses, la fierté de Xerxès. Des hordes de chevaux, des troupeaux de chèvres et de brebis. Des bois et des champs cultivés. Des vignobles et des bois d’oliviers.
Le monde que connaissait Hérodote.

Ce qui m’a le plus ému dans le musée d’archéologie sous-marine, c’est une salle sombre et mystérieuse, semblable à une grotte obscure où, sur des tables, dans des vitrines, sur des étagères, sont exposés des objets en verre remontés du fond de la mer : des coupelles, des petits plats, des petites cruches, des petits flacons, des petits verres. Cette foule d’objets ne se voit pas d’emblée, quand la salle est ouverte et que la lumière du jour y pénètre. Mais une fois que la porte est fermée et que le conservateur du musée a éteint la lumière, dans tous les récipients s’allument des petites ampoules ; le verre fragile et mat s’anime alors, se met à chatoyer, à éclaircir, à vibrer. Debout dans des ténèbres profondes et obscures, on a l’impression de se trouver au fond de la mer, d’assister à un festin de Poséidon dont la statue est éclairée par des déesses qui l’entourent en tenant au-dessus de leurs têtes de petites lampes à huile. Debout dans les ténèbres, entouré de lumière.
Je rentre à l’hôtel. À la réception, une jeune fille turque aux yeux noirs a remplacé le petit garçon malade. Quand elle m’aperçoit, le sourire professionnel censé attirer le touriste cède la place à une expression plus conforme à la tradition : en présence d’un homme étranger, sérieux et indifférence sont de mise.

Repris dans Le goût de la Turquie, textes choisis par Jean-Claude Perrier, Mercure de France, 2011

Mes voyages avec Hérodote est un ouvrage fabuleux d’humanité, d’érudition et d’humour. Ryszard Kapuscinski raconte de nombreuses anecdotes qu’il a rapportées de ses voyages ou qu’il a relevées au fil de ses lectures des Histoires. Lorsqu’il fait escale en Italie, par exemple, et se prend en plein né la confrontation des mœurs est/ouest, ou en Égypte lorsqu’il se fait détrousser en haut d’un Minaret. Mais M. Kapuscinski ne semble jamais tenir rigueur aux responsables de ses mésaventures. Il n’a pas les préjugés d’un Joseph Kessel dans ses reportages de 1919-1929 (cf. Le Temps de l’espérance). Il est vrai qu’il écrit quelques décennies plus tard et n’est pas alourdi par le bagage colonialiste de son pays.

Le monde d’Hérodote, voir ici, et .

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3 Réponses to “Bodrum”

  1. Michel Says:

    Non, l’espèce de phoque qui danse dans l’eau avec Laure n’est pas un phoque mais notre demoiselle à 4 pattes.

  2. JB Says:

    Hérodote interdit. Mdr.
    « Kapuzinski exilé lit le seul gros livre qu’il a emporté, les ‘Histoires’ d’Hérodote. C’est un cadeau de sa rédac-chef, un ‘vient-de-paraître’ de 1956 – après la mort de Staline. Car Hérodote avait été interdit sous le dictateur pour les trop nombreuses allusions qui peuvent s’y trouver sur la tyrannie, la cruauté des dirigeants, la bêtise au sommet… »

  3. JB Says:

    La polémique et le débat sur K.

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