Le Petite planète sur la Turquie, paru à la belle époque de cette collection, dans les années 1960, a été écrit par un grand spécialiste des peuples turcs et mongols, Jean-Paul Roux. La collection, dans la série Microcosmes au Seuil, avait été créée en 1954 par Chris Marker sur une idée de Tibor Mende.
Ce qui fait l’originalité de la Turquie est bien expliqué par l’auteur, c’est le fait que l’essentiel du passé du pays n’a rien à voir avec ses habitants actuels :
Nous voilà, dès les premiers pas, en face d’un de ces faits qui rendent si complexe l’étude de la Turquie. Ce peuple profondément attaché à son sol, et aujourd’hui passionnément patriote, est contraint de reconnaître que la majeure partie de son histoire s’est déroulée hors de lui. La rencontre du sol et des hommes est d’hier : de la fin du XIe siècle pour l’Anatolie puisque c’est en 1071 qu’ils y ont pénétré ; du milieu du XVe pour Constantinople puisque c’est en 1453 qu’ils s’en sont rendus maîtres – au commencement des Temps modernes.
C’est le cas en particulier de la région entre Fethiye et Antalya, la Lycie :
Force nous est de donner la palme aux Lyciens. Ultime et grandiose témoignage de leur empire, Telmessos (Fethiye) offre dans un paysage superbe de montagnes et de mers, ses falaises trouées de tombes traitées à la manière grecque. A Telmessos et à son art funéraire, Myra répond par ses tombes troglodytiques à géométrie stricte suivant l’esthétique la plus constante de l’antiquité. A Xanthos, au milieu des vestiges nombreux de la Grèce et de Rome, un pilier monolithe de cinq mètres de haut est l’étrange monument des Harpyies, tombeau d’un tueur d’Arcadiens.
Dans le chapitre « Fort comme un Turc » :
Je suis bon marcheur. Je n’ose plus dire que je suis infatigable depuis qu’il m’est arrivé d’accompagner des nomades en montagne: à une cadence de 6 km/h, sur des pentes escarpées, sans manger ni boire entre dix heures du matin et six heures du soir, ils m’ont claqué. Dans les armées, ils se révèlent incomparables. Traînez-les, comme en 1914, dans les déserts arabes, ils amèneront un Lawrence, qui s’y connaît, à dire qu’ils sont les soldats les plus sûrs et les plus solides du monde. Envoyez-les dans les Balkans, comme entre 1909 et 1918, mangés par la vermine, sans chausses et sans casque, accablés par la malaria, précédant de 100 km une intendance qui est débordée, ils supportent tout sans broncher. Ils ne prennent que des risques calculés, mais ils meurent dès que c’est nécessaire, non sans avoir tiré jusqu’à la dernière balle, non sans avoir fait, à défaut de baïonnettes, usage de leurs mains. Hier encore, en Corée, tandis que MacArthur recule sur tout le front, la brigade turque, sabre au poing, le vieux cri du croyant à la bouche, Allah Akbar, charge, indifférente, en un jour perd le quart de ses effectifs, force l’admiration des alliés.
Sur la décadence ottomane, on retrouve le scénario de Volpone :
Aussi les désastres ne tardent-ils pas. En 1699, la paix de Carlovitz, qui consacre le premier grand recul européen de l’islam oriental, inaugure un XVIIIe siècle qui transforme l’empire jadis invincible en un Homme malade, sorte de Volpone qui ne joue pas la comédie, mais que ses héritiers éventuels n’entourent de leurs soins que pour mieux partager ses dépouilles. Ce ballet des puissances intéressées, mais envieuses les unes des autres, prolonge une atroce agonie pendant plus de cent ans. Que peut-faire le médecin ? Les remèdes qu’il conseille s’avèrent vains parce que le diagnostic n’a pas été bien établi, parce qu’il s’en prend aux manifestations du mal non à sa cause réelle, parce que chaque cuillerée de potion est suivie d’une cuillerée de poison que donnent les faux amis. (p. 78)
Les héritiers actuels des Petite planète : Le goût de (Mercure de France), Points planète (Seuil).
Le goût de la Turquie, Le goût d’Istanbul
Étiquettes : Antalya, Balkans, Chris Marker, Constantinople, Corée, DH Lawrence, Fethiye, Jean-Paul Roux, MacArthur, Mercure de France, Microcosmes, Myra, Paix de Carlovitz, Petite Planète, Points Planète, Seuil, Telmessos, Tibor Mende, Volpone, Xanthos
4 janvier 2011 à 18:12 |
[…] Roux, dans son Petite Planète sur la Turquie, fait appel à la littérature, pour évoquer les liens avec la France […]