Ah, chimères ! Ce sont des chimères, dit-on !
Chimères, moi ! Vraiment chimères est fort bon !
Je me réjouis fort de chimères, mes frères,
Et je ne savais pas que j’eusse des chimères.
Molière, Les Femmes savantes
A Tlos, près de Fethiye, on constate que les Lyciens appartenaient totalement à la culture grecque, ils avaient les mêmes dieux et les mêmes mythes. Ainsi Bellérophon, qui a son tombeau à Tlos. Il est sans doute un des moins connus* des héros grecs légendaires, moins qu’Achille, Jason, Ulysse ou Héraclès en tout cas. C’est pourtant lui qui a dompté Pégase (son coursier ailé plus fameux, jusque dans le low cost turc) et tué la chimère, un monstre qui dévorait les hommes. La chimère à tête de lion, queue de serpent et corps de chèvre.
Mais cette chimère est sans doute plus dans nos têtes que dans l’apparence d’un monstre, elle n’est peut-être pour les Grecs que la métaphore de nos folies et de nos désordres mentaux. Le mot a pris ensuite ce sens figuré en tout cas. Ainsi Bélise croit que tous les hommes l’aiment, et les signes les plus contraires sont interprétés par elle comme autant de preuves ! Elle a fort à faire avec ses frères, Chrysale et Ariste, qui traitent ses certitudes de chimères. Toute la scène 3 de l’acte II des Femmes savantes est désopilante. En voici la fin :
Ariste
On ne voit presque point céans venir Damis.Bélise
C’est pour me faire voir un respect plus soumis.Ariste
De mots piquants partout Dorante vous outrage.Bélise
Ce sont emportements d’une jalouse rage.Ariste
Cléonte et Lycidas ont pris femme tous deux.Bélise
C’est par un désespoir où j’ai réduit leurs feux.Ariste
Ma foi ! ma chère sœur, vision toute claire.Chrysale
De ces chimères-là vous devez vous défaire.Bélise
Ah, chimères ! Ce sont des chimères, dit-on !
Chimères, moi ! Vraiment chimères est fort bon !
Je me réjouis fort de chimères, mes frères,
Et je ne savais pas que j’eusse des chimères.
On notera qu’en virtuose de la langue, Molière peut répéter le mot chimères sept fois en quelques vers sans que cela pèse le moins du monde.
* Les Anglais ont nommé un de leurs vaisseaux de ligne d’après lui, le Bellerophon, qui s’est illustré à Trafalgar et a emmené Napoléon en Angleterre à la suite de Waterloo.
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10 avril 2011 à 14:33 |
Au moins Bellérophon a su tordre le cou à sa chimère, ce n’est pas le cas de Bélise, ni sans doute de la plupart d’entre nous.
