Pour voir ces deux chefs-d’oeuvre, on prendrait l’avion de Nouvelle-Zélande… La plus belle pièce de Molière et la création la plus formidable du XXe siècle : Le Misanthrope et L’Opéra de quat’sous, deux oeuvres au génie absolu. Elles sont en ce moment à Paris, à la Comédie française pour la pièce de Bertolt Brecht et Kurt Weill, au très beau théâtre du Ranelagh pour Alceste, Philinte, Oronte et Célimène.
Die Dreigroschenoper, L’Opéra de quat’sous, The Threepenny Opera, L’Opera da tre soldi, la musique de Weill sur les paroles de Brecht a fait le tour du monde. En italien (amusant sketch avec Mastroianni et Sophia Loren), en portugais (Chico Buarque en a fait un opéra personnel), en hébreu, en polonais, en français, et chez les plus grands bien sûr. Lotte Lenya, la femme de Weill (ils se sont mariés deux fois, divorcé une fois !) a été la grande interprète. Chez les rockers aussi. D’ailleurs Brecht et Weill étaient des rockers! Bob Dylan s’est inspiré de Pirate Jenny pour son When the ship comes in. Un des tubes de Chico Buarque encore, Geni et o Zepelim, reprend l’histoire de la fiancée du pirate :
It tells the story of Geni, a young prostitute, who is despised by the populace. Her town is attacked by a zeppelin due to its wickedness. The Zeppelin’s captain is charmed by Geni, though, and decides to spare the city if he could sleep with her. All the people beg for her to do that, telling her she would redeem them. She accepts, and has a terrible night with the commander. Even though she saves the town, as soon as the zeppelin leaves, the cityfolk resume their loathing for Geni.
La formule fameuse de la deuxième finale de l’Opéra de quat’sous, Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral (D’abord la bouffe, ensuite la morale) est tirée de Schiller. La pièce est bien sûr inspirée par l’oeuvre de John Gay, L’Opéra du gueux (Beggar’s Opera) au XVIIIe siècle, on trouvera ici l’origine de cette inspiration. Brecht reprend aussi les poèmes de Rudyard Kipling, dont il était un fan, dans son Kanonensong, la chanson de soldats britanniques de l’époque victorienne aux Indes, en Afrique, et partout dans le monde, « the biggest hit of the 1920s ». Il colle le poème de François Villon, La ballade des pendus, à la fin de l’oeuvre, au moment où Mackie Messer est au gibet de Old Bailey.
Autres interprétations notables : Ute Lemper, Marianne Faithfull, Hildegard Knef, Anne Kerry Ford, Festival classique, Paul Betz-Miranda Lawson, Servio Tulio dans le Moritat, une représentation en 2006 à Berlin, Liebeslied et Barbara song, Seeräuber Jenny, Sting enfin avec Gianna Nannini dans la Ballade du souteneur.
La représentation à la Comédie française est parfaite, il ne manque pas un bouton de guêtre, on a les grands moyens. Le Figaro est enthousiaste, Le Monde moins. On peut être plutôt d’accord avec ce dernier, car le spectacle laisse un peu froid, un peu extérieur, c’est trop bien fait, il n’y a pas le mystère, la profondeur, l’inexplicable que porte la pièce. C’est une oeuvre à tiroirs, on n’en finit jamais avec ses interprétations. Difficile à dire pourquoi ça ne marche pas vraiment ici, pourquoi on n’est pas emporté. La critique du Monde écrit : « Prenez le duo d’amour de Polly Peachum et Mackie Messer regardant la lune au-dessus de Soho : définitif, lucide et désabusé, il vous ferait voir la lune place Colette* un jour d’été, en plein midi. » C’est tout à fait ça, la chanson est tellement suggestive qu’à l’entendre, on voit effectivement le clair de Lune (Sting encore), mais là non. Mackie manque aussi de ce côté sombre, coupant, inspirant la gêne et la crainte, qu’on trouve dans les meilleures interprétations. C’est un beau spectacle, mais il n’envoûte pas, alors que la pièce a tout pour cela. Le Misanthrope au Ranelagh, par contre…
NB L’Opéra de quat’sous est aussi un film, de Wilhelm Pabst, datant de 1931, curieusement il n’y a pas eu d’autre version au cinéma depuis. Critique intéressante d’une représentation de la pièce à l’université de San Diego : « the opening night audience sat in stony silence during the first act » (en 1928).
* La place Colette à Paris est là où se trouve la Comédie française.
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