Mariage en Aubrac


C’est maintenant que j’aime mieux, que j’aime bien !
Roxane

                         

Je voudrais tout d’abord vous remercier tous d’être là, et particulièrement ceux qui viennent des lointaines Amériques, Gilda du Brésil, Laure et Cyril de notre ex-belle province. Merci à tous.
Tout d’abord, vivre cette année de préparation du mariage, et surtout cette dernière semaine, m’a enfin permis de comprendre un passage de film qui m’avait longtemps intrigué. Il s’agit d’un Louis de Funès, Rabbi Jacob je crois, dans lequel il marie sa fille au début. Tout le monde est sur les dents, la famille est au bord de la panique, et à chaque fois que je voyais ce début – c’était dans les années 1970, je devais avoir dans les 25 ans –, je me disais : mais qu’est-ce qu’ils ont à s’exciter tellement pour un mariage ? Après tout, ce n’est qu’un mariage… Eh bien, je dois dire que là j’ai enfin compris la raison !
Plus largement, en vivant cette dernière semaine, et ce grand élan de solidarité et d’entraide qu’ont été les derniers jours de préparatifs, une période où tout le monde semble se sacrifier, se dévouer, donner le meilleur de lui-même pour que tout marche bien, oublier pendant cette parenthèse exceptionnelle les intérêts personnels, les préoccupations quotidiennes, les égoïsmes habituels, je me suis fait la réflexion qu’on assistait à une sorte de rite. Si j’étais ethnologue, je dirais que c’est sans doute la façon dont nos sociétés rendent hommage à la vie, lancent une sorte de chant, d’hymne à la vie, que cette façon de tout donner pour les deux mariés.
Mais je reviens à mon sujet, et le thème de mon discours… Il y a un an Claire m’a dit : Tu sais, Papa, il va falloir que tu fasses un discours, le jour du mariage. Et elle a ajouté, et puis, il faudra que tu assures, parce que, au mariage de Judith, Félix a mis la barre très très haut ! Bon. Tout ça n’était guère pour me rassurer, alors j’ai réfléchi à ce que j’allais dire, et je me suis fixé sur trois anecdotes, à propos de Claire, trois histoires prises au cours de sa vie, la toute petite enfance d’abord, l’adolescence, ou préadolescence, ensuite, et puis l’entrée dans l’âge adulte, les études, vers 21 ans. J’ai pensé d’abord à raconter ça dans le désordre, par souci d’originalité, et puis finalement l’ordre chronologique m’a paru plus naturel, et puis il me convient assez bien.

La première histoire se passe à Dakar, elle est un tout petit bébé, dans les six mois, l’année 1984, il y a 27 ans… Il faut vous dire que Claire est une petite Africaine, elle a grandi là, en Afrique, au moins ses dix premières années. Il faut vous dire aussi que sans l’Afrique, et l’aide qu’on y a trouvée, nous n’aurions sans doute pas eu de troisième enfant, et aucun de nous ne serait ici aujourd’hui à célébrer ce mariage. Dans un sens, c’est grâce à mon ami Michel Herland, ici présent, que ce jour est possible. J’ai en effet pris le poste qu’il laissait libre au Sénégal, en 1982, et tout le reste a suivi… Nous travaillions tous les deux, sa mère et moi, et Claire passait la journée dans le dos de Fatou, la jeune Africaine qui s’occupait de la maison, portée à la mode locale, comme le font les mères et les nourrices, dans un large pagne noué autour du corps. Fatou, un autre legs de Michel, vaquait aux tâches ménagères, avec Claire étalée dans son dos, à plat ventre. Et à chaque fois que je rentrais à la maison, je la voyais ainsi, avec un air béat, épanoui, ravi. Le contact de la chaleur humaine semblait fournir une sorte de transition en douceur entre le sein maternel et les premières aspérités de la vie. J’ai toujours pensé que le caractère qu’on connaît à Claire, son optimisme, son enthousiasme, sa gaité naturelle, son goût de vivre, s’était forgé là, dans cette première année. Les psys nous disent que tout se joue dans la petite enfance, c’est le titre d’un livre je crois, tout se joue avant six ans, et j’ai le sentiment qu’on en a là un exemple frappant.

Dakar, 1984

Dakar, 1984

Ma deuxième anecdote a lieu quelques onze-douze ans plus tard, nous habitons à Hyères, près de la plage, Claire va au collège au centre, elle fait le trajet en bus, et elle revient à la maison tous les midis, vers midi et quart exactement. Avec mon horaire très lourd à la fac, j’ai quand même le temps de manger avec elle… Et un beau jour, je me souviens c’était un mardi, pas de Claire. Midi vingt, midi et demi, elle n’est pas là. Je commence à m’inquiéter, téléphoner à droite et à gauche, à l’école, à la compagnie de bus, à la police, rien… A 13h, j’ai déjà eu le temps de faire 350 fois le trajet de la maison à l’arrêt de bus, de grimper aux rideaux et de manger mes ongles. A 13h30, toujours personne, et là j’ai déjà eu le temps d’imaginer les pires scénarios et de voir l’avenir en sombre. Finalement – je lève le suspense, l’histoire finit bien –, Claire arrive, vers 2h moins le quart. Complètement soulagé bien sûr et à moitié furieux, je lui demande : MAIS-TU-ETAIS-OU ?!? Oh, elle me dit, je me suis trompé de bus, je me suis retrouvée à l’Ayguade, et je suis revenue à pied… L’Ayguade (prononcer L’Aygade), à sept ou huit km d’ici… Bon, vous allez me dire, c’est pas la fin du monde, sa fille arrive un jour une heure et demi en retard, pourquoi il nous raconte cette histoire ? Eh bien, peut-être seulement pour confirmer mon premier point, à savoir que la vie de Claire jusqu’à maintenant, ça n’a pas été une suite d’événements tragiques, plutôt une rivière tranquille qu’un torrent agité. Mais il arrive que les rivières tranquilles rencontrent des affluents, pour former un cours d’eau plus puissant, parfois même un fleuve. Et c’est l’objet de ma troisième histoire.

C’était il y a sept ans, Claire est étudiante, dans son école à Lille, elle doit faire un stage d’entreprise. On en discute, on évoque les possibilités, une petite, une moyenne, une grande entreprise ? Je lui dis, pourquoi pas une grande, tu aurais plus de débouchés, L’Oréal par exemple. Mais non, elle me parle d’une start-up, en Lozère, qui semblait intéressante, une toute petite entreprise. J’essaie de la dissuader, mais elle n’en démordait pas, elle y aurait plus de responsabilités, une vision globale plus facile, ce qui à l’époque en effet n’était pas un problème… Enfin c’est décidé, elle choisit la Lozère, La Canourgue. On cherche un appartement, chez l’habitant, et le stage se déroule, l’été. À la fin du mois d’août, après l’île de Ré, je passe la voir, je reste une semaine avec elle, on fait des balades le week-end, ce n’est pas ce qui manque dans la région. Et un dimanche, alors qu’on rentre un peu fatigués, on termine par la route, on fait du stop. Une voiture ralentit, c’est une Golf, immatriculée dans le département. Claire me donne un coup de coude, c’est mon boss ! Ils discutent à la portière et à ce moment j’ai une drôle d’impression, l’impression qu’il se passe quelque chose, l’impression d’être rejeté dans la non-existence. Un peu comme dans ces films où un halo entoure chacun des personnages principaux, pour bien vous faire comprendre qu’un courant mystérieux passe entre eux, que le reste du monde n’existe plus. Et effectivement, il semble bien s’être passé quelque chose d’électrique à cet instant, et nous savons tous comment cela s’appelle…

Après sept ans de réflexion donc, nos deux pigeons qui s’aiment d’amour tendre ont décidé de convoler. Le mariage marque l’entrée dans une nouvelle phase de la vie, c’est une étape essentielle. Et à quelqu’un qui répéterait à Claire ce qu’on entend souvent, Oh, tu sais, le mariage, c’est la routine, le train-train ; le mariage vient à bout des plus grands amours, je suis sûr qu’elle lui répondrait, comme Roxane répond à Christian dans un vers magnifique, qui fait tilt pour moi à chaque fois que je vois la pièce, elle lui répondrait certainement ceci :
Ah ! tu n’y entends rien !
C’est maintenant que j’aime mieux, que j’aime bien !

     

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11 Réponses to “Mariage en Aubrac”

  1. michel Says:

    On veut voir le papa saisi par la grâce conduire sa fifille non moins saisie à l’autel !

  2. JB Says:

    Pour ça, voir ici.

  3. JB Says:

    Et ici aussi. Taper CAPLAT après NF7-, puis C&L, si nécessaire.
    Ou par là, aller à Vos photos.

  4. AnneLaure Pham Says:

    Très belle cérémonie.
    J’aime bien le diaporama « enlèvement » dans le sous-bois !

    Bien cordialement,

  5. michèle Says:

    I was there !! groupe 3 : à gauche de Charly… la main et le quart de tête ..
    MF

  6. JB Says:

    Ah oui, je te vois, mais à peine…
    Merci Anne-Laure !

  7. JB Says:

    Pas le Discours du roi, mais le discours du père, soon…

  8. Claire Says:

    tout le monde le réclame ce discours !!!

  9. JB Says:

    Voilà, ça y est !

  10. michèle Says:

    Oui, très beau ! Dommage, il manque le son, l’image, la prestance de l’orateur, l’émotion de l’instant, le silence de l’assemblée suspendue à tes mots, toutes ces perceptions qui ont donné à ce moment une coloration si particulière..

  11. Claire Says:

    snif, snif, toujours aussi émouvant….

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