Ruy Blas

En ce moment à Sceaux, très beau spectacle du TNP Villeurbanne (notamment les décors) avec Robin Renucci, parfait en méchant, et un excellent Don César (Jérôme Kircher), les deux personnages les plus amusants de la pièce, le grand seigneur fourbe et retors (J’ai l’habit d’un laquais, et vous en avez l’âme, lui dit Ruy Blas) et le grand seigneur prodigue et fauché (Je vais dormir avec le ciel bleu sur ma tête), son cousin.

DON SALLUSTE
                            Une marquise
Me disait l’autre jour en sortant de l’église :
– Quel est donc ce brigand qui, là-bas, nez au vent,
Se carre, l’oeil au guet et la hanche en avant,
Plus délabré que Job et plus fier que Bragance,
Drapant sa gueuserie avec son arrogance,
Et qui, froissant du poing sous sa manche en haillons
L’épée à lourd pommeau qui lui bat les talons,
Promène, d’une mine altière et magistrale,
Sa cape en dents de scie et ses bas en spirale ?

DON CESAR
              Mon cousin, tenez, trêve aux reproches.
Je suis un grand seigneur, c’est vrai, l’un de vos proches;
Je m’appelle César, comte de Garofa ;
Mais le sort de folie en naissant me coiffa.
J’étais riche, j’avais des palais, des domaines,
Je pouvais largement renter les Célimènes.
Bah ! Mes vingt ans n’étaient pas encor révolus
Que j’avais mangé tout ! Il ne me restait plus
De mes prospérités, ou réelles ou fausses,
Qu’un tas de créanciers hurlant après mes chausses.
Ma foi, j’ai pris la fuite et j’ai changé de nom.
À présent, je ne suis qu’un joyeux compagnon,
Zafari, que hors vous nul ne peut reconnaître.
Vous ne me donnez pas du tout d’argent, mon maître ;
Je m’en passe. Le soir, le front sur un pavé,
Devant l’ancien palais des comtes de Tevé,
– C’est là, depuis neuf ans, que la nuit je m’arrête, –
Je vais dormir avec le ciel bleu sur ma tête.
Je suis heureux ainsi. Pardieu, c’est un beau sort !
Tout le monde me croit dans l’Inde, au diable, – mort.
La fontaine voisine a de l’eau, j’y vais boire,
Et puis je me promène avec un air de gloire.

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5 Réponses to “Ruy Blas”

  1. claireboto Says:

    magnifique décor en azulejos…

  2. JB Says:

    Yes, m’am.

  3. JB Says:

    Et naturellement on ne se lasse pas du morceau de bravoure (scène 2), Nicolas Gonzales s’en sort très bien.
    Gérard Philippe, à la grande époque du TNP.
    Chanté aussi, pas mal.

  4. JB Says:

    J’aime bien quand IV rime avec combattre ;
    Nous avons, depuis Philippe Quatre
    Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre

    Tous les cas cités par Hugo sont historiques, le Portugal et son empire, notamment le Brésil, ont été rattachés à l’Espagne entre 1580 et 1640.

    Et les montagnes bleues !
    Très bien, les montagnes bleues…

  5. JB Says:

    Dans Hernani, le jeune Carlos, futur Charles Quint, rendait hommage à Charlemagne, dans une tirade du même genre. Ici c’est Ruy Blas qui fait appel aux mânes de Charles Quint, à la fin :

    Charles-Quint, dans ces temps d’opprobre et de terreur,
    Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur ?
    Oh ! Lève-toi ! Viens voir ! – les bons font place aux pires.
    Ce royaume effrayant, fait d’un amas d’empires,
    Penche… il nous faut ton bras ! Au secours, Charles-Quint !
    Car l’Espagne se meurt, car l’Espagne s’éteint !
    Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,
    Soleil éblouissant qui faisait croire au monde
    Que le jour désormais se levait à Madrid,
    Maintenant, astre mort, dans l’ombre s’amoindrit,
    Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,
    Et que d’un autre peuple effacera l’aurore !
    Hélas ! Ton héritage est en proie aux vendeurs.
    Tes rayons, ils en font des piastres ! Tes splendeurs,
    On les souille ! – ô géant ! Se peut-il que tu dormes ? –
    On vend ton sceptre au poids ! Un tas de nains difformes
    Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi ;
    Et l’aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
    Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
    Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme !

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