Une belle histoire

comme on aimait qu’on nous en raconte, étant enfants, avec des chevaliers, un page passionné et traître, un adultère, et bien sûr une héroïne sans pareil, Diane de Montrottier, qui finit dans un donjon. Le style est un peu ronflant et n’évite pas les clichés appuyés (Diane reçut son regard comme un éclair déchirant brusquement le triste voile de son morne horizon), mais on a envie de dire, comme Alceste à Oronte, après qu’il lui ait chanté sa ballade (Paris ma grand’ville) :

La rime n’est pas riche, et le style en est vieux :
Mais ne voyez-vous pas, que cela vaut bien mieux
Que ces colifichets, dont le bon sens murmure,
Et que la passion parle là, toute pure ?

Voici en tout cas le récit, tel qu’on le trouve dans le parcours des gorges du Fier 

Cela se passait il y a bien longtemps, au temps où les seigneurs, vivant noblement en leurs châteaux, régnaient sur de vastes terres. Diane venait d’épouser le comte de Montrottier et habitait depuis peu l’imposant château du même nom. Diane était jeune et belle, tout comme le comte qui, au surplus, était riche, puissant et habile dans le maniement des armes. Et tout portait à croire que ces deux jeunes gens, si bien assortis en apparence, formeraient un très beau couple.

Cependant, le comte, dès les premiers temps du mariage, montra plus d’un côté pervers, ainsi fréquentait-il d’autres seigneurs de la région, les moins recommandables, qu’il invitait à de grandes parties de chasse, lesquelles se terminaient inévitablement par de grossières beuveries que la jeune femme trouvait insupportables et auxquelles elle finit par refuser de participer.

De plus en plus délaissée par son mari, de plus en plus esseulée, elle se morfondait à longueur de journée dans sa chambre de la grande tour carrée. Un jour, pour rompre sa solitude, elle décida d’aller se promener dans les bois, de l’autre côté des gorges, son page, charmant jeune homme dévoué à son service, l’accompagnait, marchant devant elle pour lui ouvrir la voie, ou bien parfois dans son sillage. Et Diane était si belle et sa silhouette si éthérée dans sa robe de soie vaporeuse et son parfum enivrant, que le page en silence conçut pour elle un inavouable et fol amour dont elle ne se douta point.

Ayant pris goût à ces promenades qui lui apportaient un semblant d’évasion, elle sortit presque chaque jour, avec son page toujours aussi empressé à lui dispenser des soins qu’elle jugeait parfois quelque peu superflus. Un après-midi dans le ‘Bois du Poète’ ils croisèrent dans un chemin creux un cavalier. C’était le comte de Pontverre qui visitait ses terres. Diane reçut son regard comme un éclair déchirant brusquement le triste voile de son morne horizon, mais chacun passa son chemin. La jeune femme continua ses promenades, cependant de temps à autre elle s’arrangeait pour tromper la vigilance de son page et sortait seule par la petite porte à l’arrière du château.

Un soir que la lune déjà haute voguait dans le crépuscule au-dessus du Bois du Poète, le page qui avait vu sa maîtresse sortir subrepticement par la petite porte partit à sa recherche à travers les taillis, la nuit était presque noire maintenant et il ne savait pas où aller lorsque un hennissement tout proche lui indiqua la direction à prendre. Il s’approcha, puis s’arrêta brusquement, juste devant lui, dans le chemin creux, à travers un mince rideau de noisetiers, il vit le cheval attaché à un arbre et là, plus près encore, au milieu du chemin, juste au-dessous de la lune qui éclairait faiblement la scène comme l’aurait fait un lampion, le comte de Pontverre et Diane sa maîtresse tendrement enlacés.

Le page rebroussa chemin et s’en revint au château, fou de rage impuissante, et l’amour qu’il portait à Diane, à chaque pas qu’il faisait, se changeait un peu plus en haine. Sa fureur silencieuse devint si grande au fil du temps qu’un jour, tout à trac, il dévoila à son seigneur tout ce qu’il savait. Le comte de Montrottier entra dans une colère insensée, proféra des injures et jeta l’anathème sur sa femme et sur son rival, puis tout d’un coup s’arrêta, garda le silence un instant, et éclata enfin d’un rire énorme et sardonique.

« Nous allons voir cela ! Nous allons voir cela ! » hurla-t-il en s’esclaffant. Le lendemain matin, il fit savoir à toute la maisonnée qu’il s’en allait pour la journée chasser avec le comte de Marigny lequel l’avait invité dans ses terres près de Rumilly, il enfourcha son meilleur cheval et partit au galop.

Diane s’en trouva folle de joie, elle monta quatre à quatre les quatre-vingt-dix marches du donjon : là, s’accoudant au créneau d’où elle pouvait voir le château de Pontverre elle sortit de son corsage un miroir et décocha dans une fenêtre, qu’elle savait être celle du bureau de son amant, un rayon qu’elle capta du soleil montant, aussitôt le comte apparut à la croisée.

Un instant plus tard il chevauchait à bride abattue vers le pont de pierre par lequel il franchit la gorge, de là il galopa jusqu’au bois au dessous du château de Montrottier.

Elle était bien là : elle avait guetté son arrivée, cachée derrière le gros chêne au bord du chemin. Le comte de Pontverre sauta à bas de son cheval. Diane se précipita vers lui et dans un élan d’amour ils s’étreignirent au milieu du chemin creux.

Le bruit d’un galop lointain bientôt se fit entendre et il allait en s’amplifiant, le comte, se retournant, vit en un éclair un cavalier qui fonçait droit sur eux, c’était le seigneur de Montrottier. Diane se jeta dans le bois, le comte de Pontverre sauta à cheval et partit ventre à terre par un sentier oblique en direction des gorges, la poursuite devint homérique, cependant que le poursuivant gagnait peu à peu du terrain.

Le comte de Pontverre s’apprêtait à sauter par dessus la gorge lorsque le page qui s’était tapi là pour savourer la déroute de l’amant de sa maîtresse, voyant que celui-ci allait réussir à s’échapper, jaillit comme un diable des fourrés et s’accrocha à la queue du cheval dans le fol espoir de le retenir, mais le cavalier avait déjà pris son élan et le page était suspendu dans les airs lorsque le comte, se retournant sur sa monture, trancha d’un coup d’épée la queue du coursier.

Le comte de Montrottier qui arrivait dans un galop d’enfer avait vu toute la scène, mais il ne put que freiner des quatre fers, juste au bord de la gorge. Plus personne ! … Tout avait disparu… Était-ce un mauvais rêve ? Non ! Son rival lui avait bel et bien échappé : son coup d’épée l’avait si bien allégé qu’il avait réussi à sauter par dessus le précipice ; quant au petit page, il était allé se fracasser sur les rochers au fond de la gorge.

On dit que les douze fées attendries par cette tragédie d’amour recueillirent son jeune corps et l’ensevelirent dans la mer des rochers où le courant l’avait déposé, sous un mausolée fait d’un énorme bloc posé sur trois pierres plus petites, qu’on appelle encore aujourd’hui la ‘Pierre des fées’. Depuis ce temps-là par les belles nuits d’été, on entend parfois du fond de la gorge monter des gémissements mêlés au tumulte des eaux, c’est la voix plaintive du petit page, resté inconsolable de son amour déçu.

Quant à Diane, son mauvais mari la fit enfermer dans une cellule au cinquième étage du donjon où elle attendit lentement la mort, elle y comptait les jours en marquant sur les murs de petits traits qu’on peut encore voir aujourd’hui.

Léo Gantelet, d’après « La légende des Gorges du Fier » de Léandre Vaillat

    

Un repas turc le soir, pour se souvenir de l’Empire Ottoman, où des générations de Ravouna ont prospéré, avant de venir en Espagne, puis en France. Une belle histoire aussi  

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4 Réponses to “Une belle histoire”

  1. jeanclaudehubi Says:

    Et alors ? Où est la suite ? j’en suis à « fourrés » (qui me semble un mot bien adapté à la situation, mais bref).

  2. Jocelyne Ravouna Says:

    super sympa! le meilleur des remerciements de t’y avoir emmené (en plus de les avoir découvertes aussi..) on s’y croirait à nouveau avec cette jolie légende populaire à présent partagée. j’avertis « Le Turc »…

  3. ELIANE RICHARD Says:

    j’aime cette Diane et je compatis à sa douleur. J’ai découvert ce château et cette histoire en juillet 2013. Je ne les oublierai pas.

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