Au Camp des Milles, nombre d’artistes étaient enfermés depuis 1939 Les peintres ont réalisé des fresques murales dans le réfectoire des gardiens, il est toujours là, les fresques aussi. L’une d’elle est hallucinante : dans cet univers de malheur et de misère, un défilé de bons vivants, à la joie féroce et mécanique, décore le mur supérieur. C’est une espèce de marche militaire hilare autour de produits surdimensionnés d’une bonne bouffe bien française. Cela évoque le constructivisme russe. Le peintre est inconnu.
Une autre fresque évoque la Cène, en représentant les caricatures et clichés de différents peuples, elle serait de Karl Bodek, évacué ensuite sur Drancy :
Parmi les artistes, des écrivains comme Lion Feuchtwanger*, l’auteur du Juif Süss, une nouvelle ayant connu un succès mondial dans les années 1920, avant que les nazis la transforment en film de propagande antisémite (autres oeuvres sur le personnage bien réel du XVIIIe, Joseph Süss Oppenheimer) ; des figures célèbres comme Robert Liebknecht, petit-fils du fondateur du SPD et ami de Marx, Wilhelm Liebnecht, et fils de Karl Liebknecht, militant de l’aile gauche du SPD, puis fondateur avec Rosa Luxemburg de la Ligue Spartakiste, origine du KPD (parti communiste allemand), assassiné en 1919 avec elle par la milice durant la révolution communiste manquée en Allemagne ; de grands peintes comme Max Ernst et Hans Bellmer ; enfin des scientifiques, deux prix Nobel, passé et futur, Otto Meyerhof et l’inventeur de la cortisone, Tadeus Reichstein. Nombre d’entre eux ont pu s’échapper du camp et rejoindre les Etats-Unis, grâce à l’action extraordinaire du journaliste américain Varian Fry à Marseille, en 1940 et 1941. Expo en 1999. Voir aussi ici, un site très bien fait sur les artistes au camp.
Bellmer était obsédé par les briques du camp, une ancienne briqueterie, nombre de ses tableaux de l’époque s’en ressentent :
Le camp a connu deux périodes, l’une sous la IIIème République finissante, de 1939 à 1940, quand tous les Allemands vivant dans le Midi y sont internés, la France est en guerre, avec ce paradoxe que la plupart sont antinazis, réfugiés des persécutions hitlériennes contre les juifs ou les artistes « dégénérés » ; l’autre sous Vichy où il s’agit d’abord d’un camp de transit pour tous les indésirables du régime, puis de déportation des juifs en 1942. Lire un remarquable article de Libé, à l’occasion de l’inauguration du mémorial des Milles, très clair et plein d’informations, avec en plus des passages cocasses comme celui-là, sur les ex-légionnaires internés au camp:
Feuchtwanger côtoie d’autres intellectuels, artistes, peintres, scientifiques, musiciens, qui ont fui l’Allemagne. Et des ex-légionnaires, certains ayant servi «vingt ou trente ans sous le drapeau français». Amputés, décorés, maintenant emprisonnés, les anciens de la Légion transportent le contenu des latrines en criant : « Esquimaux chocolat-vanille ! »
Fabuleuse photo de Goering, Hitler et Goebbels, au faîte de leur pouvoir en 1937, visitant l’exposition sur l’art dégénéré, qu’ils ont eux-mêmes organisée avant de brûler les oeuvres, Hitler hilare devant les toiles…
Max Lingner, un peintre allemand, auteur de fresques édifiantes pour la RDA après la guerre, est également passé par Les Milles où il a décoré un mur du réfectoire
* Feuchtwanger a raconté ses expériences du camp, et sa vie préalable dans le Midi, dans un récit biographique, Le Diable en France, il est aussi l’auteur d’un roman sur Rousseau, La sagesse du fou.
Pendant les sept années que j’ai passées sur les côtes du midi de la France, j’ai profité, tous les sens en éveil, de la beauté des paysages et de l’insouciance qui caractérise la vie au bord de la Méditerranée. Lorsque je montais au sommet de la petite colline, vers ma maison blanche et ensoleillée, que je retrouvais mon jardin et sa paix profonde, mon grand bureau si clair qui donnait sur la mer, quand je revoyais les couleurs fantasques de ses côtes et de ses îles, ainsi que l’immensité infinie qui s’étendait derrière, quand je retrouvais mes chers livres, alors, toutes les fibres de mon être me disaient : c’est ici que tu es chez toi, cet univers est le tien.
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31 janvier 2013 à 08:15 |
Un groupe de musique vient de lancer son album « entartete Kunst » consacré à la place de l’art dans les années 30, des peintures dégénérées aux musiciens dans les camps en passant par le cinéma aux US. C’est incroyable ce que cette période est riche artistiquement! Le groupe : dissolutionfinale.blog4ever.com
31 janvier 2013 à 11:16 |
Merci pour l’info. Ils sont sur Facebook aussi. Entartete Kunst.
5 novembre 2013 à 14:07 |
[…] étaient artistes, comme le peintre Karl Bodek, qui réalisérent les étonnantes peintures murales du réfectoire […]
6 novembre 2013 à 01:33 |
Karl Bodek, OK, merci !