Sea Bird

Une autre traversée, sans problème celle-là, est celle de Sea Bird, yawl de 26 pieds, en 32 jours, en 1911. De Providence (Rhode Island) à Gibraltar, en passant par les Açores.

A l’époque la voile était l’affaire des seuls gens riches, très riches, surtout en Nouvelle Angleterre, lieu de résidence par excellence des patriciens et des grandes fortunes aux Etats-Unis. En achetant et en retapant un bateau de pêche tout à fait commun, considéré comme très laid et peu marin par les yachtmen snobs de la côte Est, Thomas Fleming Day a voulu montrer les capacités de ce genre d’embarcation. Une durée de traversée record pour l’époque, un parcours sans faute, l’histoire est relatée ici  (revue Sail, Feb. 2008) :

Au début du dernier siècle, Thomas Fleming Day, éditeur de longue date du magazine Rudder prétendit dans un éditorial que rechercher le bateau parfait, avec des proportions magnifiques, une coque idéale, était une perte de temps. Son point de vue était inspiré en partie par l’observation que des coques à bouchains étaient déjà répandues en Amérique pour les bateaux de pêche, les ferries et la plaisance, et possédaient tous les aspects nécessaires à n’importe quelle navigation au long cours. Les formes esthétiques sont plus coûteuses, disait-il, et n’importe quel bon charpentier de marine pouvait construire une simple coque à bouchains.

Day avait une expérience directe de ce type d’embarcation. Son yawl de 25 pieds, Sea Bird, avait été dessiné et construit en 1901 par L.D. Huntington et C.D. Mower dans la grange d’une ferme de New Rochelle, New York. Rudder avait suivi les étapes, et Day avait commenté le projet de façon favorable, parce que disait-il les deux hommes avaient eu le cran de fabriquer un bateau aussi « laid ». Ce qui suscita un tollé de reproches de la part de la communauté du yachting, beaucoup de gens écrivant au magazine pour dire que comme la voile était exclusivement une activité de privilégiés, Sea Bird ne pouvait être considéré que comme une sorte de déviant très ordinaire. Day était si énervé par ces remarques, qu’il décida d’acquérir lui-même le vilain canard.

Day barrait son Sea Bird à voile aurique depuis un moment, quand il décida de modifier la quille. Les architectes l’avaient construit avec une lourde dérive, contenue dans un coffre au milieu du carré. Malgré cela, le bateau prenait rapidement de la gîte, même quand Day loffait pour le redresser. Il commença par mettre des pierres pour accroître le lest, mais le seul effet fut de déformer les planches de la coque, quand le bateau reposait sur la grève à marée basse. Il finit par remplacer la dérive par une longue quille en bois, avec un poids additionnel de 700 livres, ce qui accrut considérablement la stabilité du bateau et le rendit bien plus marin.

Sea Bird pouvait maintenant affronter des vents plus forts, et, encore plus important, quand les voiles étaient bien réglées, il pouvait garder le cap un moment, même en lâchant la barre. Il continua à améliorer le bateau sur tous les points qu’il pouvait. Il installa aussi un moteur Knox à kérosène, de trois chevaux, pesant 300 livres, mais très fiable, et son poids accrut encore la stabilité. Il ajouta un réservoir de 240 litres pour le kérosène, plus un autre de 140 litres d’essence, sous le plancher (l’essence était nécessaire pour démarrer le moteur, qui fonctionnait ensuite au kérosène). Le bateau au départ de deux tonnes environ en pesait maintenant trois.

Day continuait d’être irrité par les lettres des lecteurs, beaucoup appartenant au New York Yacht Club. Même quelques-uns de ses amis non membres ne pouvaient comprendre ce qu’il faisait avec ce petit bateau de mauvais goût. Finalement, il se décida à montrer à tous quelle sorte de navire était vraiment Sea Bird, en le menant à travers l’Atlantique. Les dernières modifications furent de réduire le cockpit et placer des capots étanches sur le pont.

Avec deux amis, Robert Goodwin et Fred Thurber, Day quitta Providence, Rhode Island, le 10 juin 1911, embarquant 250 litres d’eau douce. Beaucoup de spectateurs, voyant le bateau s’éloigner, secouaient la tête, doutant de revoir un jour l’équipage. Il y avait tellement de pièces détachées, de rechange, de réserves diverses, que nombreux pensaient qu’avec une embarcation aussi surchargée, il y avait peu de chances qu’elle survive à l’océan.

Les dix premiers jours furent plutôt agités, des ris devaient être pris constamment, puis largués, Day et ses équipiers voulant être tout le temps au maximum de la vitesse. Ils réussirent ainsi à faire une moyenne supérieure à cinq noeuds, et atteignirent les Açores après 18 jours de mer, soit entre 135 et 143 milles par 24 heures. Le bateau n’avait pas de spinnaker, mais une voile d’étai (entre l’artimon et le grand mât) fut largement utilisée dans le vent de travers habituel.

Le bord suivant, entre les Açores et Gibraltar, de 2104 milles, fut parcouru en 20 jours, soit une moyenne quotidienne plus faible de 105 milles, et il y eut plusieurs incidents. Un grain violent coucha le bateau, même voiles affalées, le sommet du mât touchant l’eau. Une fois redressé, le bateau continua sans voiles (under bare poles) à une vitesse de près de cinq noeuds. Le 17 juillet, Day et son équipage arrivaient à Gibraltar, après une traversée de l’Atlantique de 32 jours.

Un succès complet. Day et ses équipiers avaient montré au monde qu’un petit bateau à bouchains, peu coûteux, pouvait être aussi marin qu’un grand yacht élégant, aux formes pleines.

Harry Pidgeon a été un autre cas de marin qui a cru à ce type de bateau, et qui montra également qu’il pouvait très bien se satisfaire d’une coque à bouchains de ce type. Calme et décontracté, Pidgeon réalisa deux tours du monde en solitaire entre 1921 et 1937 sur son Islander, un yawl de 34 pieds très semblable à Sea Bird. Depuis lors, des douzaines de croiseurs à bouchains furent construits et naviguèrent sur toutes les mers du globe. Une réponse adaptée à tous les snobs du yachting, qui prétendaient qu’un tel dessin ne valait rien et que seul un bateau à formes arrondies présentait un mérite esthétique.

Histoire et dessin de Robbert Das

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Une Réponse to “Sea Bird”

  1. Dans l’œil du cyclone | Le journal de Joli Rêve Says:

    […] Sea Bird […]

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