Les Américains sont très forts pour les mémoriaux, le Lincoln Memorial ou le Jefferson Memorial par exemple sont les plus connus. Mais le plus réussi à mon sens, et le plus émouvant, est celui de FDR, aussi à Washington, qui évoque la grande dépression et les quatre mandats du président. Ici à Norfolk, haut-lieu de la Navy, on a un mémorial dédié à MacArthur, le chef militaire de la guerre du Pacifique, puis proconsul et reconstructeur du Japon (le « Shogun aux yeux bleus » pour les Japonais), et commandant des Forces alliées pendant la guerre de Corée, limogé par Truman en 1951.
Les raisons ne tiennent pas au fait, comme on le dit souvent, que MacArthur voulait employer l’arme atomique contre les Chinois, engagés en Corée, mais à l’insubordination du général face aux directives de Washington et la crainte d’une escalade avec l’URSS. Toujours est-il que peu après, la cote de popularité de Truman tombera à 22%, le plus bas niveau jamais enregistré par un président en exercice. Il ne se représentera pas en 1952.
Que les armes cèdent à la toge (Cicéron)
I have concluded that General of the Army Douglas MacArthur is unable to give his wholehearted support to the policies of the United States Governement and of the United Nations in matters pertaining to his official duties. … I have decided that I must make a change of command in the Far East. I have, therefore, relieved General MacArthur of his commands and have designated Lieutenant General Matthew B. Ridgway as his successor.
Full and vigorous debate on matters on national policy is a vital element in the constitutional dystem of our free democracy. It is fundamental, however, that military commanders must be governed by the policies and directives issued to them in the manner provided by our laws and Constitution. In time of crisis, this consideration is particularly compelling.
Harry S. Truman
En langage moins châtié, à Time :
I fired him because he wouldn’t respect the authority of the President … I didn’t fire him because he was a dumb son of a bitch, although he was, but that’s not against the law for generals. If it was, half to three-quarters of them would be in jail.
Harry Truman
La reddition du Japon, signée par les représentants de l’empereur et les représentants des Forces alliées, le général Leclerc représente la France
MacArthur, un pur produit de l’Ouest américain (I learned to ride and shoot even before I could read or write—indeed, almost before I could walk and talk) puis de West Point, le plus jeune général de l’armée en 1925, a aussi servi durant la Première Guerre mondiale. Evolution du graphisme entre 1917 et 1942 :
Le grand moment du général, accomplissement de l’annonce du 20 mars 1942, I shall return, le débarquement à Leyte aux Philippines, en octobre 1944 :
Eisenhower commandait les Forces alliées en Europe, MacArthur dans le Pacifique, les deux hommes ne s’appréciaient guère. Eisenhower, de dix ans plus jeune, avait servi sous MacArthur aux Philippines entre les deux guerres, il n’avait pas participé à la première, bien qu’il soit né en 1890, sa renommée viendra plus tard. Il avait les qualités qui manquaient au flamboyant proconsul du Japon, modération et modestie. En 1952, c’est lui qui sera le candidat républicain à la présidentielle et sera élu à deux reprises, c’est le président des années 1950, cette sorte d’âge d’or américain. Un seul exemple en dit long sur le caractère de MacArthur : lorsqu’il prononce sa fameuse formule I shall return, Roosevelt lui demande de la changer à l’avenir pour We will return, il n’en tiendra aucun compte.
Sur l’occupation du Japon, 1945-1952
:
Le revenu réel au Japon était tombé en 1945 à la moitié du niveau de 1936, les villes étaient en partie détruites, vidées de leur habitants partis se réfugier dans les campagnes, et les chômeurs se comptaient par millions. Le pays est pourtant devenu en quelques décennies la deuxième puissance économique et industrielle mondiale avant l’immense Union soviétique… Mais la réussite extraordinaire du Japon après la guerre ne tient pas tant à l’économie, aspect le plus évident et le plus connu (malgré la stagnation et les difficultés structurelles des années 1990), elle tient surtout à l’incroyable transformation d’un régime militariste autoritaire et brutal en une démocratie bien établie et pacifiste. Comment l’une des machines de guerre les plus violentes qui ait jamais écrasé l’Asie avec une cruauté et une rapacité indescriptibles [1], s’est transformé d’un seul coup en un des plus solides bastions de la démocratie ?
Dans une thèse soutenue à Harvard, puis un livre devenu classique (Empire and Aftermath, Harvard, 1979), John Dower [2] explique comment l’ampleur de la défaite et sa soudaineté ont entraîné au Japon en 1945 un véritable déferlement antimilitariste. Après des années de propagande sur la guerre et jusqu’à la dernière minute, malgré les mauvaises nouvelles qui filtraient inévitablement et le désastre final, les Japonais se trouvent brutalement confrontés à une reddition sans condition et une défaite totale. La frustration longtemps contenue se transforme en une colère populaire, un mépris absolu à l’égard des militaires, qui éclate comme un barrage surchargé. Reischauer* fait la même analyse : « La défaite et les terribles souffrances des dernières années sont perçues comme la faillite d’une politique et d’un régime. Le militarisme, exalté quelques mois plus tôt, est désormais honni de tous. Les citoyens aspirent à une paix perpétuelle ; l’idéal collectif d’une race de guerriers fait place à une volonté passionnée de pacifisme. L’opinion apprend avec stupeur que les armées nippones, loin d’avoir été accueillies en libératrices, se sont attirées la haine inexpiable des Chinois, des Coréens, des Philippins et de la plupart des populations conquises. Les soldats japonais avaient quitté leur pays en héros ; à leur retour, leurs compatriotes les accueillent en leur crachant au visage. Les mots nationalisme et patriotisme sont bannis du vocabulaire. … La politique américaine se fonde sur la double conviction qu’une attitude revancharde n’engendrerait que haine et agitation et que des mesures punitives réduiraient les Japonais au désespoir… Seule une politique de réforme éclairée paraît susceptible de métamorphoser le belliqueux peuple nippon en apôtre de la paix mondiale. »
L’occupation américaine va durer sept années, plus que la guerre, et se traduira par l’adoption complète d’une nouvelle idéologie, économique et politique, la démocratie et le matérialisme. La réussite des occupants est telle que les cicatrices de la guerre et de la défaite semblent à jamais effacées. Un indice étonnant en est par exemple le fait que les Japonais font du base-ball leur sport national, alors qu’il n’a jamais pu s’implanter en Europe occidentale, culturellement plus proche des États-Unis. La démocratie apparaît comme le seul moyen d’accéder à la richesse, car les Japonais sont avant tout frappés par les moyens extraordinaires et l’opulence évidente du vainqueur. La liberté de penser, de faire ce qu’on veut, liées à la démocratie, s’accompagne de la liberté du choix, liée au progrès économique.
Deux faits majeurs expliquent selon Dower ce retournement à 180°, du nationalisme le plus fanatique à la démocratie de marché : les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945, symbolisant la défaite totale et irrémédiable, et la décision du général MacArthur de ne pas inculper l’empereur Hirohito [3] de crimes de guerres et de ne pas même permettre son abdication, qui autorisent un oubli collectif immédiat du passé pour tous les Japonais. Le but des Américains était d’utiliser l’empereur pour faire passer les réformes et maintenir un leadership moral, l’empereur avait été « manipulé par des félons », selon le tribunal de Tokyo. Celui-ci, Tribunal militaire international [4] – un « pâle reflet » de Nuremberg selon Time – jugea entre 1946 et 1948 seulement 28 militaires, dont le général Hideki Tojo [5], premier ministre au moment de Pearl Harbor, condamné à mort par pendaison et exécuté avec six grands responsables [6]. Les autres peines allaient de la prison à vie à 7 ans, mais tous furent libérés dès 1958. Six mille Japonais furent jugés pour crimes de guerre par d’autres pays asiatiques, et un millier furent exécutés.
En 1947 est adoptée une constitution, la loi fondamentale nippone, rédigée par les Américains, et imposée par le général MacArthur [7] qui a « une conception messianique de son rôle au Japon » et se conduit en véritable proconsul romain, ou en vice-roi de l’empire espagnol, mais avec un panache apprécié par la population. Une population dont l’immense majorité était surtout soulagée que la guerre soit finie… MacArthur s’était fixé les objectifs suivants, inspirés du New Deal : démantèlement des conglomérats, désarmement du pays, élections libres, création de syndicats représentatifs, démobilisation idéologique, réforme de l’éducation, épuration des collaborateurs du régime militaire. Le suffrage universel avait été introduit an 1912 au Japon, mais le régime militaire l’avait aboli en 1926. Les Japonais avaient ainsi déjà connu un début d’expérience démocratique, et les réformes américaines furent bien acceptées, le pays passa sans heurts du militarisme au pacifisme, et de la dictature militaire à la démocratie. La Constitution reconnaît le rôle de l’empereur, « symbole de l’État et de l’unité du peuple », établit les libertés fondamentales ainsi qu’un Parlement d’où émane le pouvoir. Le recours à la force est interdit dans les affaires internationales, et le Japon devient ainsi le premier pays à adopter cette décision, le refus définitif du recours à la force (article 9 : « Le peuple japonais renonce pour toujours à la guerre »). Il ne peut non plus entretenir une armée, point qui sera progressivement tourné par la suite, à partir de la guerre de Corée [8].
Le maintien de l’empereur a servi de monnaie d’échange pour MacArthur afin de faire accepter à la droite nippone ce fameux article 9. Les élections de 1947 et le parlement élu avalisèrent la Constitution. Le développement et la démocratisation ultérieurs du pays témoignent de la réussite du commandant suprême, MacArthur, saluée comme une des plus notables de l’histoire américaine (Reischauer) : « il est vrai qu’il est toujours plus facile d’opérer des transformations révolutionnaires chez les autres en s’appuyant sur un pouvoir militaire arbitraire, que chez soi en respectant les procédures démocratiques »…
Étiquettes : Bataille de Leyte, Cicéron, Douglas MacArthur, Edwin Reischauer, Eisenhower, FDR Memorial, Général Leclerc, Guerre de Corée, Guerre du Pacifique, Harry S Truman, Hiro Hito, Hiroshima, I shall return, Ian Buruma, Japon, John Dower, MacArthur Memorial, Matthew Ridgway, Nagasaki, WWII
Votre commentaire