Maid of Malham a été dessinée en 1936 par John Illingworth (1903-1980), architecte naval et régatier de haute mer mythique, à l’origine d’une révolution dans la conception des voiliers, ayant donné les monocoques modernes (notamment les voiles d’avant plus grandes, les génois, et des carènes plus fines permettant de mieux remonter au vent). Malcolm Robson raconte sa fin, en novembre 1969. On ne peut qu’être impressionné par la différence entre les conditions de sécurité aujourd’hui et alors, avec les balises de détresse, les téléphones satellites et bien d’autres dispositifs, qui ont complètement transformé les chances de survie.
Laissez-moi vous donner les faits. A mi-chemin entre Panama et Tahiti, Maid of Malham perdit le contrôle de son safran, détaché au pied, avec le Pacifique qui rentrait dans le bateau… Toutes les heures ou toutes les deux heures, Merrill et moi on pompait pour étaler la voie d’eau. Nous étions poussés sous foc seul, et un petit encore, dans les tumultueux alizés de Sud-Est. Après deux jours, nous commençâmes à discuter des options de survie, avec un peu plus qu’un intérêt académique… Notre destination, les Marquises, était encore à trois semaines de route, les Galapagos à 1000 milles, mais derrière nous, avec un vent contraire, un courant contraire, et une mer contraire ! Quant à cette zone du Pacifique, les cargos y brillaient par leur absence. Quand on évoquait le radeau de sauvetage, le moral baissait encore d’un cran… Je laisse la parole à Merrill:
Je faisais cuire du pain. Malcolm finissait son relevé astro du matin. Tout d’un coup, il cria : « Un bateau ! ». J’ai cru qu’il plaisantait, on n’en avait vu aucun. Puis je vis son visage, avec des larmes de soulagement. Se précipitant en bas : « Les fusées ! J’ai rêvé de ça, une chance sur un million ! » Bang. Bang. Deux lumières rouges s’élèvent dans le ciel.
– Est-ce qu’ils ralentissent ?
– Peux pas dire…
– Quel pays ?
– Port quelque chose… Londres ! Oui, ils virent… Dieu merci!
– Affale le foc ! Parée à la drisse ?
Le moteur est lancé, mais oh… « N’oublie pas que la barre à roue est déconnectée. »
– Rassemble des affaires, on a peut-être peu de temps.
– Où est le sac à voiles ?
– Dans l’équipet des bouteilles, pour empêcher le bruit.
Maintenant, passeports, papiers du bateau, argent dans cette boîte. A mettre tout dans le sac. Oh, et puis cette photo ! « Détache-la de la cloison, la belle avec les enfants. » Et puis des vêtements, dans ce placard. Heureusement j’avais mis des habits pour aller à terre dans un sac en plastique, pour éviter l’humidité. « Malcolm, mets des chaussures ! Tu as tes lunettes ? Je sors les gilets. » Dans l’équipet des pavillons. J’enfile le mien, ensuite j’aide Malcolm à mettre le sien. On se rapproche du bateau… Très beau, rouge et gris. Le bastingage est plein de gens. Ils ont lancé des bouts le long de la coque. « Raidis le guindeau ! Qu’est-ce qu’il dit, le gars avec le walkie-talkie ?Tout près maintenant. Malcolm qui braille : « On a une voie d’eau ! Pouvez-vous nous prendre tous les deux à bord ? » Discussion. Cris. Choc contre la coque du navire.
– Quel est votre poids ?
– Quinze tonnes !
– On a une grue pour soulever 25 tonnes.
– Malcolm, il dit qu’il peut sortir le bateau et le mettre à bord.
– Notre tirant d’eau est de huit pieds et le mât en fait 65.
– Ca va être compliqué, mais on peut essayer.
Une échelle de corde descend. « Pouvez-vous envoyer un bout pour ce sac ? » On l’attrape, pas de panique, ça y est. « Attache-le bien, un nœud de chaise. » Par dessus bord, pas de problème s’il traîne dans l’eau. « Monte à l’échelle, Merrill ! Doucement, attends que Maid soit au plus haut. » Puis, en haut, sans mollir. Presque là. Mes jambes me font mal, j’ai dû m’érafler. Au sommet. Des mains secourables, je saute sur un plancher dur, de l’acier. A Malcolm maintenant. « Venez voir le commandant. » Je marche. Des gens, des sourires, des appareils photo. « Bienvenue à bord ! » « Bon sang, on a eu peur pour vous. Ca va ? » Quatre longs étages jusqu’au pont supérieur. A bout de souffle. Des mains serrées. Malcolm qui parle… Quatre, cinq officiers. Le commandant et le Chef mécanicien ont des doutes sur le levage du bateau. Quelqu’un pourrait être écrasé. Il faudrait démâter d’abord. L’opération est abandonnée.Malcolm redescend par l’échelle pour récupérer encore des affaires. Un autre sac est remonté. L’eau clapote dans la cabine. Il est dans le cockpit, parfait. Sextant, chronomètre. Je me demande s’il a oublié le deuxième sextant acheté du pilote du canal de Panama. Qu’est-ce qu’il tient ? Le compas de relèvement. Viens, n’attends pas trop longtemps, ils vont larguer Maid. Une longue aussière traîne derrière, dangereux, elle pourrait prendre dans l’hélice du navire. Notre Maid ne veut pas partir, elle serre le bateau. La barre de flèche va percer un hublot… Bon sang, comme ça racle ! Quel bruit, avec la peinture qui s’en va partout. Maintenant les deux barres de flèche sont en pièces. Pauvre Maid, quelle horrible fin ! N’est-elle pas belle, longue et fine, vue de haut, jamais eu l’occasion de la voir ainsi. L’étai a lâché. Elle ne s’écarte toujours pas du navire. Semble scotchée le long de la coque, même si le bateau est maintenant en marche avant. Je ne peux plus regarder…
« Non, nous n’avons pas d’émetteur, à quoi bon ? La portée est si faible, en plein océan. » Nos anges-gardiens devaient être arrêtés quand le sort a fait que nous soyons au même endroit au même moment. Je ne vois plus notre bateau… Ah si, je le vois ! Il est là-bas, à se balancer, de plus en plus petit. Le pont est au ras de l’eau maintenant. Pauvre, merveilleuse, Maid of Malham !
Histoire reprise de Sunk without trace, de Paul Gelder : « Slowly sinking… ».
Deux ans après cette histoire, en 1971, j’avais fait une croisière dans la Manche sur Myth of Malham, autre bateau de John Illingworth, construit en 1947, vainqueur du Fastnet la même année et de l’Admiral’s Cup en 1957. Récit de cette première croisière au large.
Le peintre Charles Pears est un peintre de marines, notamment pendant la guerre, avec une galerie de tableaux superbes :
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14 novembre 2017 à 19:48 |
Superbe de bout en bout.
28 juillet 2020 à 10:41 |
Bonjour,et merci pour votre récit. Toutefois, il me semble que Maid of Malham a été dessinée par Laurent Giles et partners et non par John Illingworth.
Sincèrement
Patrick, armateur du sloop Danycan
1 août 2020 à 14:16 |
Merci pour la précision. 🙂