Les ilhas de Porto sont situées dans les quartiers populaires, ouvriers, ce sont des impasses étroites où les maisons se touchent, collées à des murs proches, logements très exigus mais propres et pleins de fleurs et de plantes, avec parfois des vues sur le Douro et ses ponts. On est loin des favelas de Rio, caractérisées par un chaos indescriptible, là dans les îles on ne peut pas dire que « Tout n’est qu’ordre et beauté, etc. », mais comparées aux bidonvilles cariocas, peut-être que oui après tout.
En tout cas, elles ont ouvert une nouvelle forme de tourisme, merci à notre guide franco-portugais hors pair, Ricardo, et à Loïc qui l’a trouvé. Infographie sur leur histoire.
De ces quartiers pauvres, et du reste du pays, surtout au nord, sont partis les contingents de travailleurs portugais vers la France, dans les années 1960. Ils y ont trouvé les vrais bidonvilles. Le photographe haïtien Gérald Bloncourt, disparu récemment, a retracé leur odyssée.
Autres aspects de la ville :
- Capela das Almas de Santa Catarina
- Place centrale de Porto
- Igreja do Carmo
- Eglises jumelles, du Carmel et des carmélites
- Passager clandestin sur le tram le long du fleuve
- Embouchure du Douro et entrée du port
Le bâtiment incontournable est la gare à Porto, Estação de São Bento, célèbre pour ses frises et ses azulejos :
Les motifs supérieurs représentent les différentes époques du pays, romaine, celle des tribus germaniques, arabe, médiévale et le XIXe siècle, avec les moyens de transports correspondants :
- Romains
- Suèves
- Arabes
- Moyen Âge
- Epoque moderne
Une note historico-économique sur l’émigration portugaise :
Gérald Bloncourt était un militant communiste, et un remarquable photographe. On a beau être complètement hostile aux idées communistes, il reste que les communistes ont fait parfois un travail utile pour dénoncer les tares de nos sociétés. Comme dans le cas de Bloncourt, qui nous rappelle les conditions d’accueil des immigrés portugais dans les années 1960, les photos sur son site sont éloquentes. Les autres immigrés, notamment nord-africains, étaient logés à la même enseigne, mais ils ne font pas l’objet de son travail.
Maintenant il reste à comprendre les raisons de cette émigration portugaise, ou plutôt les raisons du retard et de la pauvreté du Portugal après-guerre, à l’origine de cet exode massif. Il y a à mon sens une raison de fond et une raison plus conjoncturelle. La raison de fond est le déclin économique aussi bien du Portugal que de l’Espagne, après leurs siècles d’or, du XVe au XVIIe. Par la suite, c’est l’Europe du Nord qui se développe, la Hollande et l’Angleterre en tête, tandis que la péninsule ibérique rate tout, elle constitue, avec la France d’ailleurs, ce que le grand historien de l’économie, et prix Nobel, Douglass North, appelle les also-rans, un terme hippique américain, qui désigne les chevaux qui ont ‘aussi couru’, mais n’ont pas été classés.
Ici les ‘also-rans’, ce sont les pays qui ont participé à la course au développement, la course dans l’industrialisation, mais qui n’ont pas été classés, seule la Grande-Bretagne a remporté cette course. Et pourquoi ? La raison tient aux institutions adoptées, pour North, toutes les institutions adoptées en Espagne et au Portugal, les institutions d’un mercantilisme étroit, freinent le développement, tandis que les institutions adoptées par la GB et la Hollande le favorisent, celles en gros de la liberté économique. North multiplie les exemples, comme les privilèges accordés à la Mesta, ce regroupement des éleveurs de moutons, qui empêchent la clôture des terres en Espagne, le développement d’un capitalisme agraire, par les droits de passage réservés à la Mesta. Un autre exemple est la concentration du commerce extérieur entre les mains de l’Etat, avec l’attribution des droits d’échanger avec les colonies à un seul port, Séville, et l’interdiction aux autres d’y participer. L’Espagne ruine ainsi son propre développement, alors qu’au Nord de l’Europe, tous les ports participent à l’explosion des échanges. En bref, selon North, tout ce qu’il était possible de faire pour entraver le développement a été fait par les monarchies ibériques.
Ces institutions se retrouvent d’ailleurs outre-Atlantique, et expliquent l’échec du développement en Amérique latine, la réussite au Nord.
L’autre raison de la pauvreté et de l’émigration portugaises tient à la politique économique du régime de Salazar. Pendant pratiquement un demi-siècle, le professeur d’économie qu’était pourtant le dictateur continue à mettre en place une politique mercantiliste, cherchant par tous les moyens à favoriser un excédent commercial, une balance des paiements excédentaire, en limitant les importations au maximum. Une belle réussite comptable puisque le pays accumule les excédents pendant des décennies et remplit d’or les coffres de la Banque centrale. A noter que le Brésil, l’ancienne colonie portugaise suit la politique inverse, déficits constants et endettement extérieur de plus en plus élevé.
Le résultat est que le Brésil se développe, devient la cinquième ou la sixième puissance économique mondiale, tandis que le Portugal s’enfonce dans le sous-développement.
Bien sûr, ce paradoxe paraîtra étonnant à nombre de nos contemporains et compatriotes, qui sont persuadés qu’un excédent commercial est une bonne chose, un déficit une mauvaise. C’est tout le contraire pour l’économiste, car les importations représentent le gain, dans l’échange extérieur, et les exportations le coût. En effet, les importations ce sont tous les biens qu’on pourra consommer, utiliser comme consommation intermédiaire dans les entreprises, ou transformer en investissements (machines importées par exemple), donc tous les biens qui satisfont des besoins et font tourner l’économie. Les exportations au contraire sont tous les biens envoyés à l’étranger, donc dont on se prive, c’est une perte, un coût, mais nécessaires pour financer les importations.
Le Portugal avec ses excédents et ses réserves d’or a bloqué son développement en se privant d’importations utiles et en stérilisant tout cet or, qui aurait pu servir à développer le pays, construire des infrastructures, des usines, lancer des activités diverses. Le Brésil au contraire, en s’endettant à tout va, a développé son économie par le processus inverse.
Voilà en gros les raisons de la pauvreté du Portugal après la guerre – bien que le pays soit resté à l’écart du conflit, et donc ait évité les destructions massives de la France ou de l’Allemagne – et du fait qu’il ait fourni des légions de travailleurs à la France en pleine croissance.
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17 février 2019 à 00:07 |
Un correctif, d’une amie portugaise, sur les ilhas et l’émigration :
« Les garçons des « ilhas de Porto » pouvaient très difficilement échapper au service militaire obligatoire et à la guerre coloniale. Il s’agit de gens très incrustés dans le tissu urbain où tout le monde se connaissait et la famille était tourmentée par la police. Ils vivaient du petit commerce, du petit artisanat, ils vendaient dans le « Bolhão »* des fleurs, des poissons, du pain… Ils travaillaient dans la réparation de voitures… Et plus récemment ils vendaient même de la drogue.
Les braves garçons que vous avez reçus à Paris sont sortis d’autres régions du pays, plus isolées. Dans les années 50 les migrants étaient surtout des communistes. Dans les années 60, des jeunes qui ne voulaient pas mourir dans la guerre coloniale. Mes cousins des alentours de Porto sont partis pour l’Angola, ceux qui habitaient plus à l’intérieur du pays sont partis pour la France, la Suisse, Luxembourg et même l’Allemagne pour travailler dans le bâtiment. Pour traverser la frontière et se mettre en route par monts et par vaux il fallait avoir une préparation physique, et être habitué à de longues marches, mangeant seulement un peu de pain et de fromage et l’eau des ruisseaux. La plupart de ces gars étaient des provinces de Minho, de Trás-os-montes, de Beira Alta et Beira Baixa. Ils connaissaient bien les montagnes, depuis leur tendre enfance, car ils gardaient des troupeaux et ils faisaient face aux loups. Ils n’avaient connu ni Porto ni Lisbonne! Ils gardaient leur petit argent de poche dans le creux du talon des bottes, talon qui était giratoire, de peur d’être volés par des brigands. Si les policiers espagnols les attrapaient ils étaient remis à la police portugaise. Il fallait marcher surtout pendant la nuit et les yeux des loups n’étaient pas les pires des phares! Des temps bien gris ! »
Merci, Isabel !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mercado_do_Bolh%C3%A3o